La charte de l’élu local

Par Tiphaine Huige

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C’est l’article 2 de la loi n2015-366 du 31 mars 2015 visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat qui a créé la charte de l’élu local. Ce texte fixe les principes déontologiques à respecter dans le cadre de l’exercice d’un mandat local. La période actuelle étant aussi celle d’une période électorale, il est utile de rappeler la genèse et le contenu de cette charte.

Déposée au Sénat par Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur le 12 novembre 2012, la proposition de loi avait été adoptée en première lecture par le Sénat le 29 janvier 2013 et en première lecture, avec modifications, par l'Assemblée nationale le 18 décembre 2013. En deuxième lecture, elle avait été adoptée, avec modifications, par le Sénat le 22 janvier 2014, et, avec modifications, par l'Assemblée nationale le 22 janvier 2015. Elle fut ainsi publiée au Journal officiel le 1er avril 2015.

Lors de la première réunion de l’assemblée délibérante d’une collectivité (conseil municipal, conseil départemental et conseil régional) ou d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, le président lit et remet une copie de la charte à chaque élu.

La charte de l’élu local a été codifiée à l’article — emblématique — L. 1111-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT).

Ce texte a un champ d'application très général, destiné à l'ensemble des élus locaux, et repose sur sept principes déontologiques. En soi, ces principes ne sont pas nouveaux. Ils visent à garantir l’exercice impartial des mandats locaux, la prévention des conflits d’intérêts, etc. En revanche, la portée du texte — qui certes revêt une valeur législative — est peu normative, mais plutôt informative. Ce texte rappelle — en partie — des évidences que tout élu doit avoir à l’esprit. La charte de l’élu local ne peut être comparée à un véritable statut de l’élu local. Il s’agit, en réalité, de règles de « bonne conduite », qui pour certaines sont déjà consacrées par des textes législatifs et règlementaires spécifiques.

Ce texte vient aussi en réponse à une certaine lassitude et défiance de la part des électeurs face aux élus ; le législateur ayant cependant souhaité s’adresser directement aux élus locaux.

De fait, la charte n'est qu'une proclamation, destinée à rappeler aux élus leurs responsabilités.

En tout état de cause, il est nécessaire de faire un tour d’horizon des sept principes énoncés par l’article L. 1111-1 du CGCT.

1. Commandement no 1 : impartialité, diligence, dignité, probité et intégrité

« L'élu local exerce ses fonctions avec impartialité, diligence, dignité, probité et intégrité ».

Concernant l’impartialité, la probité et l’intégrité, ces notions sont en réalité déjà consacrées par des lois en vigueur, qui sanctionnent pénalement leur non-respect. Ces points ne prêtent pas vraiment à la discussion, et sont objectivement compréhensibles de tous, leur non-respect étant répréhensible.

Il s’agit, par exemple, du délit de favoritisme (C. pén., art. 432-14) qui est, à gros trait, la violation des principes fondamentaux du droit de la commande publique afin de procurer ou tenter de procurer un avantage injustifié à autrui et qui ne suppose pas de contrepartie pour l’élu (à la différence de la corruption).

Au-delà des aspects commande publique stricto sensu, les élus locaux doivent également prendre leurs décisions dans le respect du principe de non-discrimination, par exemple pour l’accès à la fonction publique, aux services publics, etc.

En outre, les élus doivent veiller aux bonnes relations avec leurs partenaires à travers les notions de probité, de diligence et d’intégrité afin d’éviter la corruption (l’élu concerné obtient un avantage ou une somme d’argent en échange de son intervention ou de son abstention pour un acte qui relève de sa compétence) et le trafic d’influence (l’élu se présente comme un intermédiaire dont l’influence réelle ou supposée permettrait d’obtenir un avantage ou une décision favorable, influence qui donne lieu à une contrepartie), qui sont aussi des infractions sanctionnées par le Code pénal. Ce sont, en réalité, des ententes entre le corrupteur et le corrompu.

Il appartient aussi aux élus locaux de remplir leurs obligations déclaratives (L. no 2013-907 du 11 octobre 2013, art. 11), comme la déclaration patrimoniale et la déclaration d’intérêts.

Sans s’y attarder ici, la mise en place d’une procédure de protection des lanceurs d’alerte et la mise en place d’un référent déontologue sont aussi à relever.

On peut toutefois remarquer la difficulté de définition des notions de dignité et de diligence ; notions qui portent nécessairement à interprétation et dont le non-respect n’est pas assorti de sanction. Que recouvre « la dignité des élus locaux » ?

2. Commandement no 2 : la poursuite du seul intérêt général

« Dans l'exercice de son mandat, l'élu local poursuit le seul intérêt général, à l'exclusion de tout intérêt qui lui soit personnel, directement ou indirectement, ou de tout autre intérêt particulier ».

Là encore, cette affirmation paraît évidente.

La défense de l'intérêt général a déjà été emparée par les textes, par exemple par la sanction de la prise illégale d'intérêts découlant de l'article 432-12 du Code pénal et par la loi no 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

La poursuite du seul intérêt général est à rapprocher, à ne pas en douter, du conflit d’intérêts. D’ailleurs, un conflit d’intérêts n’oppose pas nécessairement un intérêt public à un intérêt privé. Il peut y avoir conflit entre deux intérêts publics. Le conflit d’intérêts n’est pas nécessairement caractérisé, mais peut tout aussi bien relever de l’apparence. L’intérêt est « quelconque », direct ou indirect.

3. Commandement no 3 : la prévention et la cessation des conflits d’intérêts

« L'élu local veille à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d'intérêts. Lorsque ses intérêts personnels sont en cause dans les affaires soumises à l'organe délibérant dont il est membre, l'élu local s'engage à les faire connaître avant le débat et le vote ».

La lutte contre les conflits d’intérêts n’est pas, non plus, une notion nouvelle. En effet, la loi no 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique a créé la déclaration d'intérêts et a pour objectif notamment de prévenir tout conflit d'intérêts.

Aux termes de l’article 2 de la loi no 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, « constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».

Ce commandement est à rapprocher des commandements no 2 et no 4, dont l’objectif commun est effectivement la prévention des conflits d’intérêts qui occupe une place majeure au sein de la charte de l’élu local.

La prévention des conflits d’intérêts passe nécessairement, pour les élus locaux, de s’abstenir de voter des délibérations les intéressant, ainsi qu’une obligation de déport. Il s’agit de la notion de conseiller intéressé.

Au sujet de la prévention des conflits d’intérêts notamment, le guide de la haute autorité de la transparence de la vie publique (HATVP) est un document très utile et pédagogique, disponible en ligne à cette adresse.

4. Commandement no 4 : l’utilisation des ressources et moyens à bon escient

« L'élu local s'engage à ne pas utiliser les ressources et les moyens mis à sa disposition pour l'exercice de son mandat ou de ses fonctions à d'autres fins ».

L'utilisation des ressources et moyens mis à la disposition de l'élu a également déjà été consacrée par des dispositions spécifiques, par le délit de détournement de fonds publics figurant à l'article 432-15 du Code pénal. En effet, les biens appartenant à la collectivité — moyens matériels et humains — ne peuvent uniquement servir l’intérêt général local et non l’intérêt personnel d’un élu. L’usage détourné de biens ou de ressources de la collectivité constitue le délit de détournement de fonds publics sanctionné par le Code pénal ; délit étant passible, outre l’amende, d’une peine d’emprisonnement.

Le détournement de fonds publics peut être caractérisé même par négligence, et ne doit pas nécessairement se solder un enrichissement personnel de l’élu.

Il est donc opportun, en interne, d’instaurer des dispositifs de contrôle notamment sur le respect de procédures et de la bonne utilisation des deniers et biens publics.

5. Commandement no 5 : la lutte contre le pantouflage

« Dans l'exercice de ses fonctions, l'élu local s'abstient de prendre des mesures lui accordant un avantage personnel ou professionnel futur après la cessation de son mandat et de ses fonctions ».

L’article 432-13 du Code pénal réprime le comportement dit de « pantouflage », et donc l’avantage futur mentionné par la charte de l’élu local dans son cinquième principe, qui concerne notamment les élus « titulaires d'une fonction exécutive locale », mais aussi les fonctionnaires.

En application de l’article 23 de la loi no 2013-907 du 11 octobre 2013, certains exécutifs locaux doivent saisir la Haute autorité — qui peut aussi s’autosaisir — pour qu’elle vérifie la compatibilité d’une activité libérale ou d’une activité rémunérée dans le secteur concurrentiel avec son ancienne fonction d’élus. Cette obligation dure pendant trois ans qui suivent la fin de fonctions des élus locaux. Si les activités ne sont pas compatibles, l’élu concerné est placé en situation de conflit d’intérêts (HATVP, délib. no 2019-106 du 6 nov. 2019).

6. Commandement no 6 : l’assiduité aux réunions des assemblées délibérantes

« L'élu local participe avec assiduité aux réunions de l'organe délibérant et des instances au sein desquelles il a été désigné ».

Cette affirmation devrait couler de source, et ne fait que rappeler finalement aux élus une de leurs « fonctions essentielles ».

D’ailleurs, et ce n’est pas anodin, le montant des indemnités des élus peut être modulé en fonction de la « participation effective » des élus aux séances des conditions fixées par le règlement intérieur des assemblées délibérantes. Cette obligation de participation assidue aux instances de la collectivité et aux séances des organismes extérieurs n’est ainsi pas toujours bien remplie.

7. Commandement no 7 : la responsabilisation des actes des élus face aux citoyens

« Issu du suffrage universel, l'élu local est et reste responsable de ses actes pour la durée de son mandat devant l'ensemble des citoyens de la collectivité territoriale, à qui il rend compte des actes et décisions pris dans le cadre de ses fonctions ».

La responsabilité et l'obligation de rendre compte découlent, en réalité, de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel « la Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Rien de bien nouveau donc.

Du fait de leur mandat qui a été confié par leurs citoyens-électeurs, les élus doivent avoir un comportement irréprochable qui tend à l’exemplarité. L’objet de la charte est de coucher sur le papier des principes déontologiques, qui pour certains relèvent de l’évidence et qui pour d’autres sont déjà ancrés dans le droit par d’autres textes spécifiques et passibles de sanctions. Ces principes n’ont, en vérité, rien de nouveau, laissant à la charte une portée limitée — non normative — mais pédagogique. À ce jour, aucune jurisprudence ne vient sanctionner le non-respect de l’article L. 1111-1 du CGCT.

À noter une question écrite de Monsieur Olivier Jacquin concernant les modalités de communication de la charte (qui doit être lu et communiquer aux élus lors de la première séance de l’organe délibérant) a reçu très récemment — le 21 mai dernier — une réponse ministérielle précise que « si l'emploi du terme “remise” apparaît privilégier une transmission matérialisée, aucune disposition du Code général des collectivités territoriales ne semble s'opposer à un envoi dématérialisé de la charte. Toutefois, si les conseillers municipaux en font explicitement la demande, la charte ainsi que les documents annexes doivent pouvoir leur être transmis par papier » (Rép. min., no 14643 : JO Sénat, 21 mai 2020, p. 2341).

Enfin, pour plus de précision, le travail effectué par l’observatoire du SMACL est très intéressant et disponible en ligne à cette adresse.