« Il n’est pas possible de faire de la démocratie participative qu’à partir du numérique »

Eu égard à l’impossibilité de se réunir pour échanger et délibérer, la démocratie participative ne semble pas très adaptée aux contraintes imposées par le Covid. Pourtant elle s’adapte, notamment grâce au numérique et aux fameux « Zoom » et autres outils en ligne.

Cependant le numérique n’est pas la solution miracle comme l’explique Jérémie Colomes, chargé de mission en charge du développement de la démocratie participative et du numérique à la mairie de La Flèche.

Propos recueillis par Quentin Paillé

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Quels sont les outils pour favoriser la démocratie participative en cette période de « crise covid » ?

Les outils existent et nombreuses sont les entreprises qui se sont emparées du secteur. Une dizaine de plateformes sont spécialisées dans la démocratie participative, mais aussi des logiciels en open access : DemocracyOS ou Citizen Lab. D’autres existent déjà et ont été popularisés par les confinements comme Zoom et Discord. Mais le but de la démocratie participative c’est d’être inclusif, d’aller chercher la parole de ceux que l’on n’entend habituellement pas, et notamment ceux qui ont des problèmes de fracture numérique. Pas forcément lié à la technique, mais à l’âge ou à une situation financière qui est un peu délicate.

Le numérique permet de garder un lien, mais c’est loin d’être parfait. Il existe bien souvent dans les collectivités des services de médiation numériques qui sont chargés de favoriser l’accès au numérique pour les publics en situation de fragilités et/ou de fracture numérique et il y a un vrai enjeu à aller chercher ces gens grâce à ces services.

Et si une collectivité souhaite mettre en place des instances de démocratie participative en ce moment, je conseille de s’inspirer de toutes les bonnes pratiques qui existent dans les autres collectivités, puiser dans les connaissances partagées puisqu’il y a énormément de ressources qui sont en libre accès sur internet, notamment des formations gratuites. Il faut se nourrir de tout cela, non pas pour reproduire à l’identique, mais pour créer une consultation coconstruite avec les citoyens de manière à avoir un dispositif parfaitement adapté à la réalité locale. Chaque dispositif de concertation doit être lui-même co-construit avec les citoyens, il faut éviter que cela soit fait en dehors de leur participation. Et surtout faire simple et progressivement.

Les citoyens semblent participer plus facilement via Zoom. Alors, le numérique, est-ce la solution miracle ?

Le numérique ne peut être que complémentaire du présentiel. Il n’est pas possible de faire de la démocratie participative qu’à partir du numérique. Il faut compléter par des interventions, des démarches en présentielles. Pourquoi pas mixte, présentiel/à distance. Mais c’est compliqué pour la gestion de la parole. Ceux qui sont à distance perdent assez rapidement le fil ou ne sont pas écoutés. Et cela demande des moyens que les collectivités n’ont pas forcément. Je pense vraiment qu’il faut privilégier le présentiel et faire en sorte que les personnes trouvent un intérêt à sortir de chez elles.

Par exemple, en Nouvelle-Aquitaine, les participants à une consultation citoyenne ont été indemnisés. Ces citoyens-là ont pu vraiment arrêter de travailler pendant un jour ou deux pour se consacrer à la consultation, ils ont participé activement. Ils étaient vraiment dans une posture de décisionnaires, indemnisés pour leur contribution. Ce n’est pas l’approche qui est majoritairement retenue, pour des raisons financières évidentes. Mais d’autres moyens peuvent être envisagés.

Mais la question est intéressante : comment faire en sorte que les gens qui travaillent, rentrent tard le soir, qui n’ont pas forcément la force et/ou qui n’en voient pas l’intérêt, rejoignent les instances de démocraties participatives ? Si on se fie à ma thèse, il faut faire en sorte de légitimer le dispositif mis en place par telle ou telle collectivité. Si les gens voient que cela marche, qu’on les écoute et qu’ils ont un pouvoir de faire évoluer les choses, il va être dans leur intérêt de venir et donc ils vont venir, car ils vont pouvoir faire changer les choses.

La crise que nous vivons peut-elle accélérer la mise en place, par les collectivités, d’une politique de démocratie participative ?

En matière de démocratie participative, je ne suis pas certain que la crise ait un impact direct. Mais globalement, et ce depuis quelques années déjà, il y une vraie demande en ce sens. Beaucoup de citoyens ont participé au Grand Débat national et à la Convention citoyenne pour le climat, organisés à la suite du mouvement des Gilets jaunes. La mise en place d’instruments de démocratie participative était d’ailleurs une de leurs principales revendications.

Mais la démocratie participative au niveau national, c’est très compliqué. Consulter 67 millions de Français cela ne se fait pas rapidement ni facilement. Il faut impérativement privilégier l’échelon local, c’est l’idéal pour entreprendre des choses plus réalistes. Il faut passer par le local et ensuite passer par un degré de représentativité.

Et le participatif doit se construire sur des sujets qui sont maîtrisés par les citoyens. Par exemple, la Convention citoyenne pour le climat portait sur les grands enjeux climatiques. De prime abord, cela peut paraître un peu compliqué. Mais cela devient réalisable si l’on part de l’expérience des citoyens. Demander leurs avis sur des choses techniques comme cela semble avoir été le cas, je ne suis pas certain que cela soit pertinent. Les gens ne sont pas bêtes, mais l’idée c’est qu’il faut préalablement former les gens pour qu’ils puissent avoir un avis. Sinon les réponses sont utopiques et loin d’être pragmatiques.